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L’île sacrée

Posted in RENNES-LE-CHÂTEAU with tags , , , , , , , , , , , on 13 avril 2012 by larocheauxloups

Une somme. C’est l’idée maîtresse qui s’impose lorsque l’on ressort de la lecture de L’île sacrée, de Catherine Pierdat. Un mot a entendre dans toutes ses dimensions, pas uniquement quantitative. C’est plutôt par sa finesse d’analyse et la prise en compte de différents niveaux de compréhension que brille cet essai pas comme les autres. Catherine Pierdat nous raconte l’éternelle histoire du trop fameux curé de Rennes-le-Château, Bérenger Saunière, et de son enrichissement mystérieux, mais vu du côté de son collègue de l’époque Henri Boudet, curé du village voisin de Rennes-les-Bains. Longeant les rives de la Salz, Rennes-les-Bains est nichée en contre-bas, à quelques kilomètres de sa sœur « inspirée », au creux des sources chaudes et ferrugineuses connues déjà des Romains.

Un puits de savoir(s) trop souvent boudé, ce père Boudet, qui produit pourtant plusieurs livres de son vivant. Mais c’est l’un d’eux qui accapare le vedettariat avec la mise à jour de l’affaire du « Curé aux milliards » en 1956. C’est en 1886 que l’abbé Boudet publie La vraie langue celtique et le cromleck de Rennes-les-Bains, dans lequel il s’évertue à démontrer par moult exemples que, grosso modo, la langue anglaise est la racine de la langue celte. Un propos audacieux, pour ne pas dire férocement capillotracté, qui est accueilli à gorges déployées par ses pairs de l’époque. Comment croire un instant qu’un aussi fin lettré, qui plus est détenteur d’une licence d’Anglais, puisse soutenir une thèse grotesque comme pas deux? La réponse est simple: c’est que, à l’image de l’œuvre d’un François Rabelais, d’un Maurice Leblanc ou autre Jules Verne (pour ne citer que ces pointures aux imaginaires hypertrophiés), son livre est codé. Beaucoup de gens qui s’affairent à dénouer les fils de l’énigme rennaise s’accordent à dire que LVLC est un ouvrage « spécial » mais jamais jusqu’à présent il n’avait été détricoté avec une aussi perçante acuité.

Sentant le lièvre d’importance, l’angle mort apte à éclairer les principales zones d’ombre de cet imbroglio extravagant, Catherine Pierdat s’embarque dans les sentiers tortueux de ce monument scripturaire, pour reprendre ses propres termes, amorcés en filigrane tout au long du livre. Car s’il présente un codage évident, il en va d’une toute autre paire de manche que de le décoder. En effet, nous entrons ici de plein pieds dans un monde de non-dits de type littéraire, où la logique « carrée » plus arithmétique doit être abandonnée, sous peine d’enfermer ses raisonnement dans le petit confort d’une interprétation monocorde. Pour reprendre la préface de Christian Doumergue, un autre auteur qui s’intéresse à Rennes-le-Château:

Le fait que le codage du livre (codage dont l’existence est à peu près acquise pour tous) ne soit pas logique, mathématique, invite à rentrer dans une façon de percevoir le texte qui ne relève pas des sciences exactes. C’est là que réside toute la subtilité de l’écrit (la difficulté de sa correcte réception) et l’ouverture à un nombre quasi illimité de lectures.

Le décor est planté… Mais à ce défi au tronc noueux et aux fleurs de coton, Catherine Pierdat répond par la complétude. Elle a su éplucher et comprendre une par une les allusions, les a-peu-près phonétiques, les rapprochements de sens ou les rejets trop visibles de l’auteur pour mettre à jour un fil conducteur habilement dissimulé. Son décorticage sillonne toutes les voies d’analyse: symbolisme, histoire, géographie dite « sacrée » (description de l’environnement audois mais aussi du tracé de certaines constellations), alchimie, mythes grecs, tarot de Marseille, analyse picturale, etc… ce cocktail hyper dense nous propulse droit dans les fondamentaux de la culture occidentale et sait envisager le contexte de cette énigme dans les multiples sens de lecture qu’elle imbrique. À mesure que les pages tournent, une formidable machinerie dévoile ses contours, toujours plus nette, et qui n’avait d’autre but que l’avènement d’un formidable événement, heureusement sans suite, même si certains aujourd’hui rêvent de la même chose, à force d’une compréhension tronquée de l’universalisme et ses symboles. Cette étude, avec ses finesses, arrive donc à point nommé et fait force pédagogie. Une lucidité salutaire et oxygénée quand d’autres aigreurs contemporaines prônent et croient encore, de façon premier degré, en une lignée royale française « d’essence divine » ou « venue d’ailleurs » et crachent sans cesse sur la mutation sociétale majeure qu’a occasionné la Révolution de 1789, sans se rendre compte qu’ils en bénéficient aujourd’hui des avancées libertaires (même si elles sont salement perverties et en grand danger actuellement). Le but n’étant pas ici de déflorer en quelques lignes insignifiantes un travail méticuleux de quatre années, tout juste démoulé de sa tempête sous crâne, nous n’en dévoilerons pas plus.

 L’île sacrée est assurément une recherche qui fait mouche, à lire et relire pour s’en pénétrer de la substantifique moelle et en appréhender de manière claire le cheminement considérable. Un point de vue qui apporte, sans conteste, un nouvel élan de fraîcheur et de lumières bleues à cette « affaire » qui dure, qui dure… mais qui interpelle plus que jamais. Car la conclusion est, pour reprendre Christian Doumergue dans la préface:

… située à des lieues (au propre comme au figuré) de celles jusque-là exposées.

Cet aboutissement m’a moi-même grandement surpris mais il ouvre une perception nouvelle, qui entre, avec force, en résonance avec les turpitudes de notre époque. Reste qu’au-delà de l’aspect politique, la dimension spirituelle est clairement posée. Ne sommes-nous ici-bas qu’un reflet de « métastructures » qui ordonnancent le vivant? Si oui, de quelle nature? Et l’on en revient à la logique pure, au Verbe Universel et son logos, au cercle composé d’une infinité de points de dimension nulle mais sans circonférence, etc… Mais l’on s’éloigne…

Un seul point noir, si l’on peut dire, concerne l’objet livre lui-même, non le contenu: les illustrations. Manque criant de définition, notamment pour le tableau de Nicolas Poussin, qu’on ne présente plus, ou la carte d’Edmond Boudet. L’œil s’esquinte les prunelles à essayer de débusquer les détails. Même sans parler d’impression couleur, toujours plus onéreuse, un effort sur la qualité d’impression des documents n’aurait pas été du luxe. Peut-être pour la prochaine édition… En attendant, le livre peut se commander sur le blog de Catherine Pierdat, consacré à l’affaire de Rennes-le-Château. Pour qui s’intéresse à cette histoire et à l’histoire secrète en général, ce pavé vaut d’être arpenté par nos intelligences, pour ensemencer de nouvelles réflexions. Car les chemins de traverse érudits d’Henri Boudet valent la promenade.

Franck Balmary.

P.S.: et merci à Catherine pour sa dédicace!