Introduction à mon apologie

Alors il ne s’agit pas de la mienne, d’apologie, que le manant se rassure! Il est question ici d’un sujet récurrent de ces dernières années. Mais qui récure par le bas avec une méchante propension à virer vers la croyance pure et dure, mais plus dure que pure. Ainsi, il est des ouvrages que l’on rencontre au hasard mais dont on se demande si le hasard n’aurait pas forcé la rencontre. C’est la question qui m’assaille après la lecture inattendue de cette Introduction à mon apologie, car elle pointe son nez à un moment charnière de mon parcours personnel et de la compréhension que j’en ai. Un télescopage, une rencontre, que dis-je un bienfait, peut-être pas si innocent qu’il n’y paraît…

Remercions vivement l’éditeur pour ce dépoussiérage, il tombe à point nommé en notre drôle d’époque et brille de probité intellectuelle, doublé d’un vrai travail de documentaliste, si ce n’est d’historien. En effet, nous découvrons des écrits signés de la main d’Adam Weishaupt, père fondateur du non moins célèbre ordre des Illuminés de Bavière, cause, nous dit-on, de tous les maux du monde moderne. Mais qu’en est-il vraiment? Car, à se pencher sur ces quelques lignes, forcé d’admettre qu’arrivé au bout, on fait plutôt le constat inverse! Tout d’abord, une préface retrace l’historique de l’ordre, à laquelle suit un texte d’Adam Weishaupt, la fameuse Introduction à mon apologie précitée. Ce dernier y expose les raisons, selon lui fallacieuses, et les méthodes mensongères du gouvernement de Bavière qui ont provoqué l’interdiction de l’ordre en 1784, suivi de son bannissement personnel du pays. Ambiance…

Ma gloire et mon illustre nom y ont couru un tel danger, que j’éprouve le besoin de convaincre mon auditoire et mes adversaires que mes intentions étaient des plus pures et des meilleures. Ce fut le but de mes écrits publiés jusqu’alors.

Adam Weishaupt

Fondé le 1er mai 1776 et d’abord nommé le Bund der Perfektibilisten (Cercle des Perfectibilistes), voué à engager une recherche de perfectionnement personnel que l’individu mène sur lui-même par le biais d’une règle de conduite, l’ordre se transmute en Illuminatenorden (Ordre des Illuminés) en 1778, avec le but avoué d’amener la société entière à fonctionner selon un schéma de cercle vertueux. Le perfectionnement individuel étant la clé d’un nivellement vers le haut plus général, il doit ainsi permettre de minimiser les bassesses comportementales type copinage, corruption, séduction, soumission, etc… Car le propos des Illuminés réside tout entier dans le postulat suivant: amener tout membre de l’ordre à une haute conscience de sa liberté propre et de sa force créatrice intrinsèque, pour qu’il puisse influer sur les structures d’État ou, plus simplement, autour de lui. Tout cela est exprimé largement dans la troisième partie du livre, où l’on découvre les rituels primitifs de l’ordre, publiés anonymement en 1788 mais attribués à Johann Heinrich Faber. Primitifs car ils ont évolués et ont été remaniés par la suite, avec l’arrivée du jeune baron Adolph Von Knigge au sein de l’organisation. Mais ces premiers points de règlement intérieur, de rituels d’admission ainsi que les principes directeurs, émanent très probablement d’Adam Weishaupt lui-même.

Contrairement aux idées boueuses et infondées colportés par le prêtre jésuite Augustin Barruel, qui affirmait que la Révolution française avait été l’aboutissement d’un complot des philosophes et des franc-maçons influencés de manière significative par les Illuminés de Bavière, le but de l’Illuminatenorden était en réalité diamétralement opposé à toute idée de révolution ou de cassure politique violente, et encore moins favorable à des régicides sanglants. Et ce malgré une certaine adhésion aux idées des Lumières provenant de France. Ce type de velléités, souvent attribuées aux Illuminés par une vindicte faussée nourrie de méconnaissance, sont totalement absentes des prérogatives de l’ordre. Entre parenthèses, on admire le simplisme d’un tel discours, tellement caricatural qu’il en devient magnifique: même si, en sous main, une classe bourgeoise affairiste voyait d’un bon œil le renversement de la monarchie, et l’a sûrement appuyé de tous ses vœux de réussite, que fait-on de la colère d’une population sans laquelle rien ne serait arrivé? Compte-t-elle autant pour des cacahuètes? Barruel méprisait-il à ce point l’histoire et les gens qui l’ont faite? Pourtant, ce genre de diatribes réactionnaires, que Barruel a compilé dans ses Mémoires pour l’histoire du Jacobinisme parues entre 1797 et 1799 (soit plus d’une décennie après la dissolution de l’ordre des Illuminés, preuve, s’il en était, d’un acharnement certain) sont tenaces et l’on en ressent les ravages intellectuels encore aujourd’hui. Du copié-collé qui n’a pas évolué d’un poil de cul-de-chatte! Évidemment, les dérapages à répétition de la sphère financière avec son pendant d’autoritarisme étatique (pour ne pas dire super Étatique), offre son flanc droit, voire extrême droit, aux discours paranoïaques confortables, et aux conclusions tronquées. En bon automatisme mental, il est, en effet, toujours plus facile de désigner des boucs émissaires que de chercher à s’améliorer ou s’interroger soi-même… Les Illuminés avaient parfaitement compris la nécessité de ce nettoyage intérieur, clé indispensable aux grands accomplissements. Les intentions de l’ordre étaient donc bien plus prosaïques que ce que la mauvaise science-fiction continue de broder autour, puisque celui-ci se donnait pour but le bien-être général et y consacrait toutes ses forces. Objectif d’une simplicité complexe, dont on pourrait seulement railler l’utopie touchante, étant donné la nature humaine.

Statuts Généraux de l’Ordre.

Pour le soutien et la sûreté des membres de cette association, qu’ils soient potentiels ou actifs, et pour prévenir toute supposition infondée et tout doute anxieux, l’O déclare avant tout qu’il n’a nullement pour dessein d’encourager les opinions et actes portant atteinte à l’État, à la religion, aux bonnes mœurs ou aux siens. Toutes ses intentions et son effort visent uniquement à éveiller l’intérêt de l’homme pour l’accomplissement et le perfectionnement de son caractère moral, à inspirer l’esprit d’humanité et de société, à empêcher les mauvais desseins de se réaliser, à aider la Vertu opprimée et indigente contre l’injustice, à songer à l’avancement des personnes méritantes et à rendre universelles les connaissances humaines encore majoritairement cachées. Voilà le but déclaré de l’Ordre; tout le reste compte pour rien. Si les membres devaient un jour rencontrer ici où là quelque chose d’inattendu, ils peuvent être assurés que, contre l’usage de certaines autres associations, l’on y promet moins, mais l’on tient plus. Cependant, un membre qui voudrait entrer dans l’O dans l’espoir d’une grande puissance ou richesse future, pourrait ne pas y être le mieux accueilli.

Voilà un programme qui se passerait de commentaires… Pas de traces de « destruction des États », ni des identités culturelles ou religieuses dans ce court extrait… « Circulez, y’a rien à voir », comme dirait l’autre! Ces conneries rapiécées avec des bouts de ragots inventés ne sont pas plus au menu des Illuminés que la mygale géante rôtie ne l’est à celui du Fouquet’s! Les faiseurs de légendes et autres fins limiers à la petite semaine peuvent remballer leurs plumes marbrées d’idées noires. Les têtes d’enclumes sont reines aux pays des mauvaises foi et n’ont plus qu’à plier les gaules en oubliant leurs fausses pistes. Que les hauteurs envisagées ci-dessus puissent un jour éblouir les légions d’aveugles. Même si des intérêts dits « supérieurs » pilotent aujourd’hui notre monde de capitalisme en déroute, au détriment des plus faibles, même si des États (que nous ne nommeront pas) exercent des politiques militairo-économiques de type impérialiste ou agressif, même si l’on nous fait avaler la médiocrité par tous les porcs, télévisuel ou OGMs, à coup d’information surabondante et non décryptée, même si ces comportements avérés et hautement nuisibles pourrissent l’ambiance, tout cela fait partie intégrante de la nature humaine. Mais il ne faut pas tout mélanger. Car ce sont précisément le type de dérives et d’état d’esprit néfaste, contraire à la bonne marche du monde, qu’une association comme celle des Illuminés, deux siècles et demi avant nous, s’engageait à combattre. Ou plutôt à désamorcer à la racine par la diffusion de la connaissance, ce qui est autrement plus subtil. Il faudrait donc que certains esprits étroits, psychologiquement inaptes à l’analyse plurielle, finissent par comprendre que l’histoire du monde n’a pas été planifiée par une smala improbable de 30 vieillards en mal de pouvoir, planifiant nos destinées de fourmis depuis deux siècles et demi du fin fond de leur loge (Skull & Bones ou « Illuminatis »). Il serait bon pour eux d’atterrir et de s’éveiller au principe de réalité, bien plus nuancé que les schémas de pensée dignes d’adolescents en mal de sensations. D’ailleurs, si une telle entreprise a échoué après 8 ans d’une courte vie, bien que très active, c’est peut-être qu’au-delà de la botte autoritaire du régime de Bavière, elle s’est aussi retrouvée en face de ses propres contradictions, en tous cas traversée de frictions entre certains de ses membres. Pourtant, même le mouvement de radicalisation antireligieuse, présent au sein de l’Ordre à la fin de sa vie, n’était que le fait d’une minorité, non cautionné par Weishaupt qui plus est.

Il est triste de devoir devenir son propre louangeur. Je suis dans cette situation.

Adam Weishaupt

Ce livre nous conte l’histoire d’un groupe d’hommes en phase avec les idées humanistes de son époque, épris de Justice autant que de justesse et de droiture, croyant en un monde meilleur et n’ayant eu pour toute folie que de vouloir appliquer cette utopie en environnement hostile. Pour cette audace insolente, Adam Weishaupt aura fini en exil à la cour de Haute Saxe voisine, pas malheureux mais séparé de sa famille et vilipendé. La société qu’il avait fondé n’avait déjà plus rien de secret au début des années 1780, mais ses intentions sont restées obscures et mal comprises, durablement décrédibilisées, jusqu’à nos jours. La manipulation de documents orchestrée par le Prince Électeur de Bavière aura porté ses fruits de discorde et aura servit de prétexte à la dissolution et l’interdiction définitive de l’Illuminatenorden. Les inventions de Barruel auront tout autant souillé ce mouvement qui ne réclamait pas autre chose pour l’Homme que de lui faire retrouver sa dignité. L’ordre ne se relèvera jamais de ces coups de poignard dans le dos, c’est un fait. Ainsi en va-t-il de la nature humaine, trop tordue pour percevoir les splendeurs de la Lune qu’on lui indique d’un doigt discret mais souvent à l’aise pour cracher sur ce doigt, si discret soit-il. Mais les braves qui, délaissant les racontars, feront l’effort de parcourir le chemin des préceptes de l’Illuminisme y glaneront assurément quelques lueurs.

En bon complément ou introduction au livre, voici une interview de l’éditeur (également traducteur), Lionel Duvoy, particulièrement instructive quant au contexte mouvementé, et finalement assez mal connu, de la fin du XVIIIème siècle.

Nous devons cet ouvrage aux Éditions Grammata, conjointement avec les Éditions Post-Scriptum. Malheusreusement, le livre s’est quelque peu raréfié et il est difficile aujourd’hui de le trouver, même sur la toile. Mais cette étude survit en divers web endroits, notamment sur le site esoblog.net qui lui consacre un résumé suivi d’un extrait. On retrouve également une toute récente page facebook dédiée au livre et à la sortie des parties censurées des écrits de Weishaupt. Page sur laquelle nous apprenons que nous devons ce travail d’éclairage et d’exhumation à l’ésotériste et franc-maçon Serge Hutin. Où Serge Hutin nous parle du véritable but de l’abolition des hiérarchies sociales prônée par Weishaupt, afin de faire advenir un système fondé sur l’égalité de chaque citoyen et l’équité. Sorti en juin 2010, le livre a été réédité en janvier 2012.

Franck Balmary.

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