Le secret dévoilé

Rennes-le-château, Mystère éternel, mère de toutes les affaires occultes, n’en finit plus d’engendrer thèses et théories. Délires new age d’un côté, glissant vers un Bugarach toujours environné « de bio-énergéticiens », d’ésotéristes « tout amour » et de bases martiennes sous-jacentes, ou écrits rationalistes de l’autre, tentant de s’en « tenir aux faits » (quitte à en rester prisonnier), l’histoire du curé Bérenger Saunière fait couler l’encre et l’imagination en flots ininterrompus. Et puis, il y a toujours, surgissant de ce peuple nombreux de subjectivités « étayées », le propos qui détonne et sort du lot, mu par une intuition plus fine et un coup de projecteur bien senti et mieux ajusté. C’est le cas de Le secret dévoilé, enquête sur les mystères de Rennes-le-château.

Volontairement, je ne déflorerai rien, ou très peu, du livre, d’autres critiques et nombreuses conférences de l’auteur s’en sont déjà chargé. Mais on y reconnaîtra trois qualités:

Saunière 1891

Bérenger Saunière

1) la méthodologie.

La structure permet d’y voir enfin clair dans cette énigme. L’auteur commence par détricoter tout ce qui touche à la vie du curé, exposant les nombreuses histoires dans l’histoire. Car il importe plus que tout de partir d’un socle ferme. Arrivé le 1er juin 1885 à Rennes-le-château, Bérenger Saunière s’enrichit assez vite et le montre de manière ostentatoire par la réfection de l’église tout d’abord, puis la construction d’un domaine au faste pour le moins voyant dans une région agraire. Au fil des déductions et des documents retrouvés en archives (Bibliothèque nationale et archives départementales de l’Aude entre autres), Christian Doumergue met à jour la source de financement concrète des « grands travaux » du curé. Et, au passage, inscrit pleinement le personnage dans sa pensée politique et sociale du moment, à l’heure où la France s’approche de la séparation de l’Eglise et de l’Etat, position déjà évoquée clairement par Catherine Pierdat à propos du curé de Rennes-les-bains, Henri Boudet, dans son livre L’île sacrée.

Saunière décède en 1917 et ainsi se termine le premier acte d’une histoire locale qui va s’amplifier jusqu’au mythe par l’entremise d’un certain Pierre Plantard. Intervenu bien plus tard, dans les années 1960, par le biais de divers écrivains, Plantard va créer, pièce après pièce, la fable que l’on connaît aujourd’hui. Ainsi, même si nous le savions déjà, Christian Doumergue met bien en évidence, dans une deuxième partie, les deux époques de cette affaire (la vie de Saunière, dans un premier temps, et l’action de Pierre Plantard qui se greffe sur l’affaire Saunière, dans un second temps) et l’importance de les étudier chacune à part pour mieux les mettre en lien. La compréhension de cette bi-polarité est essentielle. Les dix dernières années ont vu Pierre Plantard passé au pilori d’une déferlante de critiques dessinant le portrait d’un homme tantôt « collabo », tantôt mythomane. L’affaire de Rennes-le-château devait en passer par cette saine déconstruction mais aujourd’hui il importe de sortir de l’approche binaire faux-vrai / vrai-faux.

2) L’analyse littéraire.

pla

Pierre Plantard

Qu’il ait retourné sa veste, certes, mais à répéter que Pierre Plantard n’était qu’un sombre mytho narcissique, à force de « prouver » l’imposture plantardienne, à s’acharner ainsi en réquisitoires purement démonstratifs, l’affaire menaçait de s’échouer dans une sécheresse analytique de spécialistes. Car la question qui arrive juste derrière les dénégations est: pourquoi? Pourquoi diable cette immense construction fantasmatique de Pierre Plantard et consorts, pourquoi autant d’énergie et de temps passés au travestissement de lignées royales, à l’invention d’une fausse société secrète, le Prieuré de Sion, ou à l’écriture de récits initiatiques codés type Serpent rouge, brodé autour d’un fait local arrivé des années auparavant dans le fond de la France, au pied des montagnes? Seulement pour le plaisir de la farce? Cela semble un peu maigrelet… Ou peut-être le surréalisme formel façon canular est-il lui-même la substance du trésor et le témoin des richesses immatérielles que recèle l’humain… C’est sous cet angle que Doumergue attaque et fait montre d’une analyse emprunte de finesse, faisant autant œuvre de logique soucieuse de ses sources que de sensibilité, quittant enfin le moule de l’approche purement factuelle pour nous plonger dans un monde de suggestions et de puissances évocatrices. L’étude infratextuelle mettant en lumière les multiples degrés de lecture et clés de codage, s’avère capitale pour embrasser toutes les dimensions de l’œuvre scripturaire de Plantard et ses différents étages, construites au fil des années.

3) La poétisation.

Rédigé à la première personne, on note, dès les premières lignes, le souffle poétique qui tient en vie ces réflexions. Vision subjective presque « fictionnalisée » sur la base du parcours mental de l’auteur, nous assistons à l’évolution de conscience de celui-ci au fil des découvertes, de sa prise d’épaisseur au détour des questionnements, évolution que tout un chacun peut connaître au contact de réalités gigognes de ce type.

Bref, au-delà même du propos de Pierre Plantard mis à nu, dont chacun est libre de penser ce qu’il veut, ce livre apporte une nouvelle vision de l’affaire, une nouvelle façon de la comprendre et de l’envisager. Qui, d’ailleurs, serait peut-être à étendre à d’autres protagonistes, comme Philippe de Chérisey… Finalement, nous nous trouvons au cœur du monde littéraire français de la fin du XIXème et du XXème siècle qui s’est transmis certains savoirs de nature hermétique, milieu dont a si souvent parlé Richard Khaitzine.

Pierre Plantard et Philippe de Chérisey

Pierre Plantard et Philippe de Chérisey

Grâce à une structure claire, un propos accessible, poétisé par une passion incontestable pour la région de l’Aude, son histoire et CETTE histoire, loin des exégèses mécanistes des techniciens du mystère qui ont fleuri ces dernières années, Christian Doumergue rend à l’énigme son éclat de merveilleux et nous reconnecte avec la dimension du rêve, cette poche d’imaginaire si nécessaire pour avancer. Le pire des néophytes peut même risquer un voyage dans les méandres de ces six cent et quelques pages sans crainte de s’y perdre, l’esprit de synthèse offrant une compréhension limpide, marque d’un certain respect des lecteurs. Un bon moment pour qui aime fourrer sa truffe dans les sujets à mystères ou batifoler en bordure d’irréel, incontestablement.

Sorti le 6 juin 2013, Le secret dévoilé est encore largement trouvable, par exemple sur le site internet des Editions de l’Opportun: http://www.editionsopportun.com/produit/164/9782360752492/Le%20secret%20devoile

Secret dévoilé

Franck Balmary.

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