Balade à Gisors

En ce beau samedi de mi-octobre, rendez-vous en la charmante bourgade de Gisors, dans l’Eure, pour une promenade à la poursuite des Templiers qui occupèrent le château de Gisors en séquestre entre 1158 et 1162. L’Histoire officielle a tendance à minimiser le passage des chevaliers de l’Ordre du Temple dans ce château du fait qu’il n’y ait pas de commanderie dans les environs, pourtant ils y sont restés quelques temps même si ce ne fut pas long.

L’affaire Roger Lhomoy (le jardinier-gardien du château qui découvrit une sois-disant salle sous le château renfermant un sois-disant trésor gargantuesque), relayée/romancée par la plume alerte du journaliste Gérard de Sède dans son livre Les Templiers sont parmi nous sorti en 1962, a fait couler beaucoup d’encre quant à un supposé dépôt trésoraire des Templiers sous le château de Gisors. Faute d’avoir trouvé quelque chose jusqu’à présent, ce qui intéresse Thierry Garnier, de prime abord, est de savoir s’il y avait bien un souterrain qui reliait le château à l’église juste en face.

Église tout à fait remarquable, dans un premier temps, par son architecture et son ornementation présentant clairement une succession d’époques différentes. Nous remarquons ainsi, à l’intérieur du monument, un glissement stylistique progressif. La zone du choeur est de type médiéval gothique caractéristique, jalonné de piliers en arcs brisés à clefs de voûte. La nef, étroite mais très haute, nous amène à l’ornementation intérieure du porche d’entrée, de style plutôt Renaissance, beaucoup plus chargé. Enfin l’un des côtés près de l’entrée présente des éléments baroques, tout à fait XVIIème. D’ailleurs à l’extérieur, la façade de l’entrée présente une ornementation qui fait tout de suite penser au XVIIème, plaqué sur une construction visiblement antérieure.

Au-delà de cet assemblage un peu hétéroclite, l’intérieur de l’église frappe par sa richesse ornementale. Les yeux font bonne chair, à chaque fronton, pilier ou chapelle. Mention spéciale pour le pilier polygonal où, sur le haut de chaque face, sont gravées les 33 confréries de Gisors. Les 33 corps de métiers qui ont occupé la ville du Moyen Âge à la Révolution, voire un peu au-delà. A cette époque, Gisors était la ville qui comptait le plus de confréries juste après Rouen. Rouen, alors elle-même deuxième ville la plus importante du royaume de France après Paris, car port fluvial de première importance.

Comme de coutume, sur ses flancs bordant la nef, l’église présente plusieurs chapelles. Souvent débaptisées au cours de l’Histoire, nous en trouvons une qui s’appelle Saint Joseph aujourd’hui mais qui, à l’époque de la construction de l’église portait le nom de Sainte Catherine. Cette chapelle de Sainte Catherine fut élevée dans l’église le 13 mai 1444 par une certaine Jeanne de Chantemerle, fille d’un l’ancien gouverneur de Gisors*.

Mais l’église actuelle n’est que la deuxième de Gisors, la première ayant été déplacée par Robert de Bellême au XIIème siècle (1120) pour permettre l’édification de la motte sur laquelle repose la forteresse. Le journaliste Gérard de Sède, dans son livre, parle d’un prisonnier qui s’évade du château en passant par une « chapelle Sainte Catherine », un événement relaté par un rapport du geôlier des cachots de Gisors daté de 1375*. A cette date, la dite chapelle mentionnée dans ce document, ainsi que sa crypte, serait un vestige la première église déplacée par Robert de Bellême 250 ans plus tôt et serait reliée par un souterrain à la chapelle Sainte Catherine de l’église actuelle. Ouf!! On s’y perdrait…

Et tout le questionnement par rapport à Gisors réside ici, dans cette confusion des chapelles Sainte Catherine amené par le livre de Gérard de Sède. Le souterrain menant à cette ancienne crypte est évidemment inaccessible aujourd’hui, le passage ayant été redécouvert lors de travaux de réfection de la voirie en 1970 puis immédiatement condamné*.

© Anne de Varax

Le château, lui, est resté très bien conservé mais grâce à des travaux effectués vers 1985/86. En effet, suite à des fouilles intempestives de chercheurs de trésor (toujours pareil!), la motte qui supporte le château commençait à s’affaisser par endroit, ayant amené le donjon à se fissurer en deux! Des colonnes de béton ont donc été coulées en soutien jusqu’à quelques mètres dans la motte pour stabiliser l’édifice, puis une dalle a été coulée au sommet du donjon également. Le château comprend 4 lignes de murailles: la première qui entoure directement le donjon, la deuxième qui entoure la basse-cour autour de la motte, espace comprenant aujourd’hui les jardins, la troisième, élevée plus tard, en forme d’as de pique à un endroit et la dernière ceinturant la ville elle-même au Moyen Âge, tout comme Gaillon.

Alors, souterrain or not souterrain? Là est la question. La pensée officielle soutien que non, des chercheurs moins officiels comme Thierry Garnier soutiennent que oui, sur la base de documents. Pourquoi pas. Mais les documents n’apportent de preuves que leurs propres dires et non des éléments tangibles. Le vrai problème étant que pour trancher une bonne fois pour toutes, il faudrait faire de véritables fouilles sur la base d’un dossier de recherches complet et cohérent et qu’on a bien l’impression que des volontés capables de mettre en oeuvre de tels projet se font plutôt rares. Au-delà de la question financière, on est en droit de se demander pourquoi rien n’est fait à ce niveau là. Au moins un sondage. Il en va de la vérité historique. Les « experts » venus fouiller après le passage de Roger Lhomoy n’ont pas l’air d’être allés tellement plus loin et l’affaire a été enterrée, si l’on peut dire, bien vite.

© Anne de Varax

Après le château, en fin d’après-midi, direction ce qu’on appelle le « Champ sacré ». C’est précisément l’endroit de Gisors où sera lancé officiellement, en 1188, l’idée de la 3ème croisade pour aller reprendre Jérusalem à Saladin, perdue après la mort du roi Baudoin IV de Jérusalem, mort survenue le 16 mars 1185 des suites de la lèpre. Français et Anglais se retrouvent sous un orme. Comme il règne un pur cagnard, les Anglais, arrivés les premiers, se mettent à l’ombre du gros arbre. Les Français, un brin échauffés, se frittent comme il se doit avec leur collègues d’outre Manche à propos de la place à l’ombre et en viennent à couper l’orme en deux à la hache, sous le coup de l’énervement. Çà plaisantait pas, à l’époque! Le constat a été le même chez tous les participants de la balade: rien n’est mis à cet endroit pour spécifier ce rendez-vous important de l’Histoire (pourtant bien traçable et officielle, celle-là). Rien. Rien qu’un champ cultivé sans aucun panneau indicateur. Désarroi… Et après, au château, çà vient vous faire la morale bien pensante sur les « légendes et fariboles d’un autre temps » et la nécessité d’authentification absolue des sources en Histoire (comme si on savait pas), notamment à propos de sois-disant souterrains… qu’ils commencent déjà à nous restituer les lieux de l’Histoire officielle! Parce-que bien sûr, ces histoires de souterrains invérifiables ne parlent que d’un réseau de caves tout ce qu’il y a de plus bête et méchant. Du stockage banal et point, n’allez pas chercher plus loin. C’est sûr qu’il ne faut pas raconter n’importe quoi et encore moins céder aux rumeurs faciles quand on fait des visites publiques, et c’est sûr qu’il y a toujours des caves dans un lieu d’habitation important! Mais çà ne veut pas dire qu’il n’y ait pas d’autres accès à d’autres « genres » de sous-sols. Un peu comme le descriptif des alentours directs du château, en contrebas de la barbacane: à un moment on nous parle gentiment d’un accès par la « rue du Monarque », sans rien ajouter de plus. Une rue est une rue, somme toute. Viiiii madame! Sauf qu’on oublie juste de nous préciser que cette rue se nommait la rue du Grand Monarque, il n’y a pas si longtemps que çà. Les cartes postales anciennes, numérisées à tort et à travers aujourd’hui à des fins de conservation, attestent parfaitement de cette information, la rendant incontestable. Étrangement, rien ne sous sera dit là-dessus. C’est sûr que Gisors ne sera pas la première ville à changer le nom de certaines de ses rues mais cette appellation n’est pas tout à fait comme les autres, elle attire forcément l’attention. Cela doit faire partie du « fantasme zozotérique » qui enveloppe Gisors et que les esprits sérieux ne sauraient cautionner. Il est donc de bon ton d’oblitérer certains détails pour réorienter, même subtilement, notre vision de l’Histoire. Le mensonge par omission est un autre genre de fléau, aussi redoutable qu’il est sournois. Ci-dessus,  dans les caves du château, une photo d’Anne de Varax.

Rue du Grand Monarque, Gisors.

Peu après, en route pour la commune de Neaufle et sa fameuse croix cerclée, dont on ne sait toujours pas à quoi elle a pu servir. Bien qu’on sait qu’elle a été déplacée à cause du tracé de la route, elle se trouve toujours plus ou moins dans l’axe de la Tour du prisonnier, élément le plus récent du château. Mais pourquoi faire ou pour quelle signification, çà… (et pas la peine de chercher une Bible dessous, c’est fini ce temps là!).

Un complément d’enquête sur le site du Mercure de Gaillon.

Pour plus d’informations sur les excursions et parcours de promenades organisée par le Mercure de Gaillon.

Franck Balmary.

* Éléments extrait de la revue Le Mercure de Gaillon n°1


8 Réponses to “Balade à Gisors”

  1. Je ne peux qu’approuver ce compte rendu, merci Franck 😉

    TG
    Mercure de Gaillon

  2. Cela me rappelle un dimanche très glacial sur Gisors mais très convivial !

    Johan

  3. Anne de Varax Says:

    Merci Franck pour ce compte-rendu bien nécessaire pour nous rappeler toute la richesse des informations données tant visuelles qu’auditives.

  4. Frédérique G. Says:

    Merci, je voulais participer, mon emploi du temps était chargé ailleurs. Je viendrai à la prochaine randonnée découverte, mais déjà, j’ai ce compte-rendu sympa et bien illustré.

  5. larocheauxloups Says:

    Bonjour.

    Pour info, Thierry Garnier organise une autre journée de balade historique le 27 novembre 2010 sur Paris. Objet: la visite des église de Saint Merry (près de Beaubourg) et de Saint Sulpice (entre Montparnasse et SAint Germain des Prés):

    samedi 27 novembre · 09:30 – 21:00

    Paris, de 9h30 à 18h00 – Conférece de 18h30 à 20h00

    Programme et horaires:
    – RDV 9H30 à l’église St Merry – Visite de l’église (gratuit), métro Hôtel de Ville/Châtelet (ligne 1).
    – Vers 12h : Déjeuner (restaurant sur réservation, env. 27€)
    – Vers 15h00 : Visite de l’église St Sulpice (gratuit), métro : St Sulpice (ligne 4) ou Mabillon (ligne 10).
    – 18h30 : Soirée conférence tout public, ENTREE GRATUITE (vous donnerez ce que vous voulez à la fin). Thème : « des Dossiers Secrets Lobineau démystifiés au Liber Tobiae révélé ». Adresse de la conférence : 4, rue du cardinal Lemoine, Paris 5e, métro Cardinal Lemoine (ligne 10)
    – A 20h : Apéritif dinatoire (sur réservation 15€)
    Pour tout renseignement et réservation:
    contact@lemercuredegaillon.net
    ATTENTION : La réservation est obligatoire seulement pour les repas du midi et du soir ainsi que la conférence du soir car les places sont limités.

    Franck.

  6. Sympa comme documentaire et certe depuis l’affaire Roger Lhemoy il n’est gere de bon ton de parler de Templiers a Gisors bien qu’au moins une rue en porte le nom et la zone commerciale en face de plus il est en effet indeniable qu’ils aient pu y demeurer un temps, ce que je ne m’explique pas c’est l’absence de tombeaux a Gisors et a ses alentours…

    • larocheauxloups Says:

      Oui, les Templiers sont cantonnés à un merveilleux de pacotille alors que leur période d’existence a marqué la mort brusque de l’art roman et la montée en flèche, si je puis dire, de l’art gothique avec nombre de cathédrales monumentales dont ils ont largement financé les chantiers, le compagnonnage étant, à cette époque, leur bras ouvrier.

      Franck.

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